ACCORDS ET DESACCORDS

ACCORDS...

Woody Allen reste l'un des seuls metteurs en scène à réconcilier "méchants" dirigeants capitalistes de grands complexes cinématographiques et "gentils" défenseurs des œuvres (pseudo)intellectuelles du 7e art.

Bien sûr, Woody Allen, il y a ceux qui aiment et ceux qui détestent : aiment ou détestent ses films, aiment ou détestent son approche expérimentale du sexe, aiment ou détestent son personnage récurrent de petit vicelard à lunettes, frustré dans ses rapports avec les femmes. Mais aimé ou détesté, un Woody Allen est toujours très attendu : tout comme le Beaujolais nouveau ou les soldes de janvier, ça n'arrive qu'une fois par an. Et si Celebrity pouvait manquer de saveur, Accords et désaccords, lui, fait danser les papilles ; et notre pied ne cesse plus de battre la mesure, au rythme des accords et désaccords de Sean Penn : quelques notes à la fois nostalgiques et festives, et lui, unique, qui par sa seule présence et sa guitare nous entraîne les yeux fermés dans des aventures rocambolesques où l'on croise mafieux et putes, fumeurs d'opium et joueurs invétérés, groupies et génies…, bref, tout ce que l'Amérique des années 30 comptait d'exotique : Accords et désaccords swingue à l'oreille, est doux au toucher, fin au palais, un peu enfumé pour le nez, mais est un vrai régal pour les yeux.

Car derrière la fausse biographie cinématographique se cache Emmet Ray, un personnage tout droit sorti de l'imaginaire torturé de Woody Allen, un virtuose de la guitare puant autant l'alcool que la prétention, mais qui par son talent et son charme enfantin, arrive toujours à ses fins. Et à force de l'entendre répéter qu'il est un artiste, un génie, le deuxième meilleur guitariste du monde après Django Reinhardt, le "manouche français" comme il le surnomme, on en arrive presque à l'adorer, à le trouver génialement bizarre ou bizarrement génial, à aimer ses bal(l)ades romantiques dans les décharges publiques et c'est avec un petit pincement au cœur que l'on imagine ce qu'il aurait pu être s'il avait vraiment existé. Pourquoi faire simple quand on peu faire compliqué? Plutôt que d'adapter bêtement la biographie d'un quelconque artiste, Woody Allen s'est inventé un mythe, une star avec tous les défauts qui vont avec, et s'est amusé à dépeindre sa vie qui aurait franchement inspiré plus d'une revue à scandale.

La jeune actrice Samantha Morton, privée de la parole pour un film, réinvente à elle toute seule le cinéma muet à travers son regard et son sourire remplis de naïveté et d'incompréhension qui font d'elle l'une des plus grandes icônes alléniennes. Quant à Sean Penn, on le savait bon, on le pensait excellent, il l'est. Accords et désaccords, c'est lui, drôle, facétieux, sans gêne et orgueilleux : on ne le reconnaîtrait presque pas. Mais dans son regard toujours la même tristesse qu'il promène de film en film et qui fait d'Emmet Ray plus qu'un as de la guitare : un être humain. On se disait tous que Woody Allen n'aimait que les femmes et lui-même. Avec Accords et désaccords, il a prouvé qu'il aimait les hommes à travers son regard de cinéaste. …

ET DESACCORDS...

Pourtant, Accords et désaccords peut décevoir ceux qui avaient aimé Harry dans tous ses états et Celebrity. Car il semble que ces deux films aient marqués un tournant dans la carrière du cinéaste, dont ils sont peut-être les deux aboutissements à ce jour, et que le nouvel opus se situe dans leur continuité. Comme dans ses deux films précédents, Woody Allen dresse un constat amer sur la création (sa relation à l'ego, son rapport à la vie privée…), en même temps qu'il reprend certaines de ses œuvres précédentes. Car Accords et désaccords reprend Zelig comme Harry reprenait Annie Hall et Celebrity, Manhattan : il y a dans les trois films le même retour sur des thèmes, des situations, des motifs, des formes déjà présents dans l'œuvre allénienne. Ainsi, on retrouve dans Accords et désaccords les années 30 de Coups de feu sur Broadway et de La Rose pourpre du Caire, alors que Samantha Morton rappelle Mia Farrow dans ce même film; et puis, il y a le jazz comme dans Radio Days. Cependant, le scénario est peut-être le plus lâche écrit par l'auteur à ce jour : les commentaires paraphrasent plus la fiction qu'il ne la dynamise ; et le film ne va pas aussi loin que Harry et Celebrity dans la remise en perspective d'une thématique et d'une esthétique personnelle : les épisodes se suivent mais restent le plus souvent anecdotiques, le cinéaste ayant pour une fois du mal à faire passer sa réflexion dans son histoire. Mais peut-être que celui-ci, qui tourne beaucoup, désirait simplement s'octroyer une pause. En tout cas, même si Accords et désaccords n'atteint pas son modèle (Mais comment égaler Zelig ?), il n'en demeure pas moins un film intéressant, participant de la nouvelle orientation prise depuis trois ans par une œuvre qui ne cesse d'évoluer. Passés les films hommages (le burlesque des début, Intérieurs et Stardust Memories en référence à Bergman et Fellini), Woody Allen avait su se trouver un style propre dont Annie Hall et Manhattan restent les archétypes. Depuis, il était revenu à la comédie classique (Meurtre mystérieux à Manhattan, Maudite Aphrodite, Tout le monde dit I love you), et le voici, revisitant son œuvre pour la remettre en question et en perspective. Ceci est tout à son honneur : Woody Allen est un auteur à suivre…

Amandine Scherer et David Lagain

 

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