RESSOURCES HUMAINES

(RES)SOURCES (IN)HUMAINES

Dans une production française sclérosée, qui hésite entre intimisme et grand spectacle et ne parvient pas à se départir du mythe nouvelle vague, une œuvre telle que Ressources humaines montre que les Gaulois résistent encore à l'envahisseur. Certes, Laurent Cantet s'attelle à une satire sociale, comme les vénère notre cinéma hexagonal, mais l'auteur possède une acuité et une qualité de regard rares, dignes d'un Jean Renoir, nous confinant dans cette pensée que "tout le monde a ses raisons".

Les personnages demeurent d'une humanité profonde et ne sont jamais jugés par leur créateur, qui part du pur stéréotype, voire de la caricature, pour transcender les rôles en exploitant la personnalité de ses comédiens, tous amateurs - excepté Jalil Lespert, le fils, familier du réalisateur -. Les abondantes tergiversations concourent au charme de cette interprétation généreuse, envoûtante et attachante.

Quand une déléguée syndicale, petite boule de nerfs odieuse et détestable - qui s'oppose à toute négociation et semble empêcher toute avancée sociale mais se révèle en fait extraordinairement lucide -, vient elle-même consoler un père à qui le fils vient de dire ses quatre vérités, on concède que derrière tout masque se cache une immense sensibilité. Même le directeur, qui profite des limites du capitalisme et abuse de son pouvoir pour asseoir son appât du gain sans considérer ses employés, devient pathétique quand le stagiaire prometteur, en qui il avait placé son entière confiance, le trahit.

Car Ressources humaines est en premier lieu la dure confrontation avec la réalité du monde de l'entreprise, la fin d'une enfance bénie et l'entrée dans l'univers impitoyable des adultes, où tous les coups-bas sont permis. Le père travaille à la chaîne depuis presque trente ans, mais le fils, qui habite pourtant à quelques pas, ne découvre cet univers que dans le cadre d'un stage au sein des bureaux de la DRH. Alors que l'arriviste pense sincèrement pouvoir mettre ses connaissances, ses talents et son influence au profit des ouvriers, il ne parvient finalement qu'à l'exclusion et au bannissement, sous les yeux d'un père médusé, dont la fierté rudement éprouvée l'empêche d'analyser et de comprendre.

Le film ressemble à un volcan en permanente ébullition et prêt à cracher sa lave à tout moment. Les confrontations entre le père et le fils, le patronat et le prolétariat, le communisme et le capitalisme, matinées d'un conflit de générations, sont au cœur du propos. Les jeunes refusent de défendre la cause de leurs aînés sous prétexte de l'avantage que leur procure leur âge, argument irrecevable nous renvoyant à un constat d'actualité : la précarité de la situation économique fait que chacun se retranche derrière son emploi. Le fils, issu d'un milieu provincial et ouvrier qu'il ne connaît finalement pas, ne trouve pas ses marques et son sacrifice relève plus de l'amour-propre que de la conviction politique.

La notion de fraternité demeure aussi superbement développée dans Ressources humaines et nous cantonne dans cette idée simple de croire en son prochain. Le fils se procure le document compromettant annonçant les douze licenciements, seule alternative possible pour une action de la CGT, grâce à l'entremise d'un jeune noir, voisin d'atelier de son père. Après avoir refusé de gratifier son patron en répondant à un questionnaire, ce chevalier de l'apocalypse témoigne magistralement de son intérêt pour la vie de l'entreprise en risquant sa seule source de revenue.

Pour terminer, la fin de Ressources humaines, ouverte et polysémique, reste cependant assez noire et pessimiste. Le fils retourne dans la capitale à la recherche d'un nouveau stage, mais comme le disait auparavant la déléguée syndicale au téléphone, la circularité de l'information entre potentats risque de le discréditer pour toujours. De plus, le film se clôt sur un gros plan du fils, de profil, le regard fixé vers l'horizon, demandant à son nouveau compagnon, après un silence éloquent : "Et toi elle est où ta place ?"

The dude

 

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