JEANNE D'ARC

UN COMBAT CONTRE L'INTOLERANCE

Le dernier film de Luc Besson est surprenant par bien des aspects, tant au point de vue de la narrativité qu'au point de vue idéologique. Cet opus s'appuie sur l'efficacité visuelle d'un cinéaste grand imagier pour brandir, tel un étendard, un message de paix et de tolérance. Il est à noter que ce film sort à une époque corrompue par les sectes, où les groupes de scouts intégristes mènent à la mort des enfants, où les problèmes israëlo-palestiniens ne sont pas encore réglés, où le front national, par l'entremise de ce petit rat de Mégret, passe des alliances avec les autres groupes politiques de droite pour former deux nouveaux partis ; à une époque où chaque jour amène son cortège de mort due à l'intégrisme et au fanatisme, en Algérie, aux Etats-Unis (où l'on s'apprête à exécuter Mumia Aboudjamal, pour délit de peau et de journalisme), dans toute la planète.

Le film nous place d'emblée dans l'impression d'un mythe et non dans l'Histoire de France. La séquence de démarrage du film où l'on voit gambader une petite fille sur une colline n'est pas sans rappeler la série TV : La Petite maison dans la prairie. Ce faisant, j'ai le sentiment que Besson nous montre que la légende de JEANNE, telle qu'on la connaît, n'est qu'une impression niaise de l'Histoire. Dans certaines interviews, le cinéaste nous annonce très franchement qu'il ne croit pas à la petite bergère pucelle de la légende. Alors, Mulder, la vérité est ailleurs. Besson souligne, sur son site internet que les histoires de petites bergères pucelles sont monnaie courante dans les légendes où une héroïne sauve son peuple (C'est un peu le cas pour la légende chinoise de Mulan). Ainsi tout en imprimant un mythe, Besson ne cherche-t'il pas à le détruire ? Il semble, effectivement, que dans la scène où une religieuse doit vérifier le pucelage de Jeanne, le cinéaste nous montre que malgré un grand nombre de personnages présents dans la salle, personne ne peut témoigner de la véracité de l'affirmation : Jeanne est cachée par un drap et tout le monde regarde un drap mais, pas le même. De plus, si la reine est la seule qui dialogue avec la nonne, on a bien l'impression que la virginité de l'héroïne est une chose entendue à l'avance : il y a corruption au sein de l'église.

Et lors de la scène où Charles VII observe Jeanne jouant avec un bâton, le roi prend peur en imaginant que l'herbe coupée par le dit bâton est la tête d'un ennemi : On est loin de la pucelle d'Orléans qui n'aurait jamais brandi l'épée face à l'adversaire. On réalise, dès ce moment précis du film, quelle arme pouvait représenter un tel personnage au sein d'une armée.

Dès lors, Besson peut jouer avec les codes. Il nous montre pendant toute la première partie du film une sorte d'ange blond aux yeux bleus doté d'un charisme exceptionnel. Cependant, cet ange est hystérique, il tue, et cet archétype du héros n'est pas sans rappeler le profil de l'aryen type prôné par Hitler et, par extension, Le Pen. La narration joue de cette ambiguïté et nous entraîne aux côtés de Jeanne sans que l'on se pose de questions. Cependant, le spectateur commence à remettre en cause les moyens employés par Jeanne lors de l'attaque des tours (l'héroïne nous rappelle le général Nivel qui envoya, lors de la guerre 14/18, des soldats dans des opérations suicide). Jeanne est une hystérique, une fanatique.

Dans la deuxième partie du film, le personnage de la conscience de Jeanne prend une dimension qui est amorcée lors de l'attaque des tours. Cette conscience représente le côté "humain" de Jeanne, elle grandit avec elle mais sans jamais l'appeler au fanatisme. Elle est le conflit intérieur de cette femme au destin exceptionnel, elle replace tout le film dans une "réalité" où l'on fait abstraction du romantisme de la légende pour expliquer toute l'horreur des comportements fanatiques : "c'est juste une épée dans un pré". La démonstration nous est donc faite : le mythe de la pucelle est truffé d'interprétations symboliques de la foi qui donne bonne conscience à un personnage qui n'agit que par vengeance, égoïsme, et qui, prétendant servir une cause (Dieu ne lui a rien demandé), sert uniquement ses intérêts. Que font les intégristes qui tuent au nom d'une cause, que font ceux qui tuent, sans être intégristes, au nom d'une cause, si ce n'est servir leurs propres intérêts ?

Certes Luc Besson aurait pu prendre une autre période de l'Histoire pour parler de ces serpents qui sifflent sur nos têtes. Mais, en s'attaquant à ce qui est devenu le symbole d'un parti nazi (nazi est bien le terme), il fait voler en éclat un mythe guerrier qui incarne des valeurs nationalistes, forgées sur la suprématie d'une race et d'appels au meurtre au nom d'une religion ou profession de foi.

ARNAUD SOHYER

 

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