MATRIX
- EXISTENZ
|
LE VIRTUEL DANS LA SCIENCE-FICTION
Le vieux Charles Baudelaire a dû faire craquer ses vieux os plus d'une fois. A présent que commence l'ère nouvelle, ses Paradis Artificiels, devenus mondes virtuels, font bien triste figure devant tant de petits fantômes qui culbutent sous nos casques . Bien sûr, la SF s'est emparée de ce créneau prometteur. Mais est-ce bien là une innovation ? Qu'on retourne, pour s'en dissuader au plus profond de nos vieilles séries d'outre atlantique, pleines de mondes parallèles, où l'on passe-muraillait allègre, les frêles cloisons de la troisième dimension, même au Texas. 99, année pauvre dans le domaine, donna à voir Existenz puis Matrix. Le premier, concocté par l'alchimiste fameux, Cronenberg, maître es mouche et poilantes hallucinogènes (Le Festin nu), mettait l'eau à la bouche : consoles de jeux révolutionnaires parce que branchées directement sur le " biopode " du joueur, via un cordon ombilical, porteur de virtualités tellement vraies que difficiles à différencier du réel. L'idée est fameuse, Matrix c'est la même chose sauf que ce sont de méchants robots qui jouent au jeu, et que le jeu : c'est nous.
Chez Cronenberg, c'est plus fin dans l'idée : on frémit, finalement on n'est pas si loin de l'actualité. Les frères Wachowski, eux, leur monde virtuel, c'est avec de grosses bottes qu'ils le justifient, mais soyons indulgents : c'est quand même de la SF. Sauf qu'au bout du compte, Matrix s'en sort bien mieux qu'Existenz, tirant profit des codes propres aux jeux vidéo, tandis que Cronenberg, balourd, assènant du virtuel couches après couches rend son histoire vite illisible, ce qui est vraisemblablement voulu, mais finalement sans intérêt. Agaçant, la pirouette finale n'étonne pas et l'on reste sur sa faim, amer, au fond de son siège, en pensant fiévreusement au vieux Tarkovski qui doit se retourner dans son isba.
Bref, ni Matrix ni Existenz n'auront retrouvé l'alchimie d'un Total Recall, trop rapidement classé comme film d'action lambda. Qu'on le visionne à nouveau, et de remarquer que malgré ses gros doigts, Schwarzie démêlait le fil d'une histoire intelligemment ficelée dont l'action n'avait pas complètement écrasé ni la finesse ni l'ambiguité.
Eric Rivot